« Allah n’est pas obligé » – Ahmadou KOUROUMA

Allah n'est pas obligéBirahima, un gamin orphelin n’a pas d’autre choix, compte tenu de ses résultats scolaires, que devenir l’un de ces enfants soldats, qu’on habille avec un treillis beaucoup trop grand et à qui on donne une kalachnikov, pour faire la guerre. La guerre pour qui, pourquoi, contre qui? Pour des chefs de clans qui trahissent, uniquement préoccupés par des trafics, n’ayant aucune conscience de la valeur de la vie….

La guerre, le meurtre, racontés comme des banalités obligées de la vie d’enfants africains….une violence qui dérange notre petit confort mais bien réelle racontée par un gamin


Connaitre Ahmadou Kourouma


Extraits
  • « Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça. 
    Et deux… Mon école n’est pas arrivée très loin; j’ai coupé cours élémentaire deux. J’ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut plus rien, même pas le pet d’une vieille grand-mère. (C’est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d’une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L’école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l’université, on n’est pas fichu d’être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l’Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu’à cours élémentaire deux n’est pas forcément autonome et mirifique. On connaît un peu, mais pas assez; on ressemble à ce que les nègres noirs africains indigènes appellent une galette aux deux faces braisées. On n’est plus villageois, sauvages comme les autres noirs nègres africains indigènes: on entend et comprend les noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais comme les Américains noirs du Liberia. Mais on ignore géographie, grammaire, conjugaisons, divisions et rédaction; on n’est pas fichu de gagner l’argent facilement comme agent de l’Etat dans une république foutue et corrompue comme en Guinée, en Côte-d’Ivoire, etc., etc. »
  • « Grand-père était grand trafiquant d’or. Comme tout trafiquant riche, il achetait beaucoup de femmes, de chevaux, de vaches et de grands boubous amidonnés. Les femmes et les vaches ont produit beaucoup d’enfants. Pour loger les femmes, les enfants, les veaux, la famille, le bétail et l’or il achetait et construisait beaucoup de concessions. Grand-père avait des concessions dans tous les villages de baraquement où des aventuriers marchands d’or se défendaient » (P. 20)
  • « Pour qu’un fonctionnaire soit bon pour le malade, le malade apportait un poulet au fonctionnaire » (P. 25)
  • « Il n’aurait jamais réussi à faire des enfants. Parce qu’ils ne connaissait pas la technique de mon père. Mon père n’avait pas eu le temps de lui apprendre la façon acrobatique de bien se recourber sur maman pour appliquer des enfants, vu que maman marchait sur les fesses avec en l’air la jambe droite pourrie par l’ulcère » (P. 31)
  • « Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari, même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. C’est ce qu’on appelle les droits de la femme. » (P. 34)
  • « Dans toutes les guerres tribales et au Libéria, les enfants-soldats ne sont pas payés. Ils tuent les habitants et emportent tout ce qui est bon à prendre.  Ils massacrent les habitants et emportent tout ce qui est bon à garder.. Les soldats-enfants et les soldats, pour se nourrir et satisfaire leurs besoins naturels, vendent au prix cadeau tout ce qu’ils ont pris et ont gardé » (P. 53-54)
  • « Quand on dit qu’il y a une guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé le pays. Ils se sont partagé la richesse; ils se sont partagés le territoire; ils se sont partagés les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et le monde entier les laisse faire. Il y avait au Liberia quatre bandits de grand chemin: Doe, Taylor, Johnson, El Hadji Koroma et d’autres fretins de petits bandits. Les fretins bandits cherchaient à devenir grands.
  • « Ingérence humanitaire, c’est le droit qu’on donne à des Etats d’envoyer des soldats dans un autre Etat pour aller tuer des pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte. »
  • « Le Sierra Leone c’est le bordel, oui, le bordel au carré. On dit qu’un pays est le bordel au simple quand des bandits de grand chemin se partagent le pays comme au Liberia ; mais quand, en plus des bandits, des associations et des démocrates s’en mêlent, ça devient plus qu’au simple (…). C’est pourquoi on dit qu’en Sierra Leone règne plus que le bordel, règne le bordel au carré »

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