« Mémoires d’outre-mer » – Michaël Ferrier

Mémoires d'outre-merMichaël Ferrier parti à Madagascar à la recherche du passé de son grand-père Maxime qui y émigra, retrouve sa tombe et deux autres tombes qu’il a fait construire, dont celle de son ami chinois Arthur…

Qui occupe donc la troisième restée anonyme et que signifie l’étrange épigraphe sur la tombe de Maxime : « pourvu qu’elle soit vivante et non anéantie »…..? Il découvre, au hasard de rencontres et de lectures, que son grand-père était un homme qui connut une vie passionnée dans cette île de Madagascar, successivement artiste de cirque, « Maxime et tous ses saltimbanques sont donc des demi-dieux tout autant que des malandrins, quel beau mot entre le marin et le mandarin. Pendant trois ans, ils vont régaler les habitants de la région de leurs acrobaties et de leurs facéties magnétiques «  mais aussi pêcheur en mer, professeur de boxe et gestionnaire de salle de sport, commerçant, …une vie bien remplie et riche. Une découverte du passé de son grand-père qui lui permet, et à nous lecteurs également, de découvrir la petite et la grande histoire de cette île de l’Océan Indien, vie d’une colonie, et attitudes de ses petits et grands colons, mais aussi de tous les colons des colonies françaises…. sous la tutelle de la Métropole..Racisme, immigration, rien de nouveau sous le soleil.

Au détour de nombreuses pages on découvre des anecdotes de la grande et de la petite histoire …la mémoire plus ou moins glorieuse, plus ou moins avouable de la France coloniale du XXème siècle, donnant un intérêt certain à cet ouvrage…épidémie de peste, régime de Vichy qui envisageait de déporter les juifs à Madagascar, résistance dans les colonies…Ces derniers points semblent à la lecture de la 4ème de couverture constituer l’essentiel de l’ouvrage…ne vous y fiez pas…encore une 4ème de couverture accrocheuse. Vous y découvrirez peut-être, comme moi, un petit film d’Hitchcock

Si le contenu m’a séduit, j’ai été cependant moins sensible et parfois lassé par l’emphase de certaines descriptions, par cette recherche à tout prix de grandiloquence de quelques pages qui n’apportent rien au récit….une envie de lecture en diagonale…Dommage

Une découverte malgré tout à ne pas négliger


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Extraits

  • « Ha, la France et sa mémoire…ses mémoires devrait-on dire : la complexité des mémoires, leur tourmente, leurs turbulences. Très difficile en France de parler d’autre chose que de la France. Et encore, d’une certaine France…..pas facile de faire admettre aux gens que la France ne se réduit pas à l’Hexagone » (P. 32)
  • « Les grands musiciens le savent, et il suffit encore aujourd’hui d’y passer quelques jours pour l’entendre, c’est à dire pour le comprendre par l’oreille et les vibrations du pas sur le sol : Madagascar est un immense continent de sons et de chansons, un poème de timbres et de voix chuchote en cachette dans ses savanes et ses forêts, une réserve de musique pour le monde entier » (P. 41)
  • « Un homme qui part provoque toujours une sorte de frémissement anxieux, entre le désir et la crainte, et suscite généralement la plus unanime des réprobations. Après son départ s’ouvre aussitôt la ronde des ragots et des récriminations. Les collègues médisants, les amis bienveillants’ tout un chacun y va de sa petite phrase.  » (P. 43)
  • « Les Français ne savent pas où me mettre. On n’a pas idée d’être français comme ça, me disent-ils. Trop compliqués tes mélanges ! Quelle rigolade….les Français, ils ne sont unis que quand un attentat leur tombe dessus et encore pas pour bien longtemps, faut voir comme ils se mettent sur la gueule après. «Français de souche», qu’ils disent…bêtise de bûche, oui! Comme s’il n’y a avait qu’une manière d’être vraiment français…..La souche en plus : ce bois mort, ce fût sans fond, ce moignon » (P. 61)
  • « Trois calendriers régissent la vie des Malgaches : le calendrier officiel (grégorien), le calendrier agricole, liés au cycle solaire qui rythme les travaux des champs, et le calendrier des destins qui compte trois cent cinquante cinq jours. C’est ce dernier, luni-solaire et d’origine arabe, qu’utilisent les devins pour déterminer le moment favorable pour chaque activité et dresser les horoscopes. Ce peuple chevauche les temps et enjambe les planètes. » (P. 107)
  • « Le funambule au milieu de son fil est comme le nageur entre deux rives – un citoyen entre deux pays – à égale distance de l’une et et de l’autre. Perdu outre-mer. Ne croyez pas qu’il soit si facile d’être un enfant d’outre-mer. Les continents ne sont plus en vue, les repères s’éloignent…..alors il n’est rien d’autre qu’un feuillage fragile, traversé par les vents. La moindre brise lui est tempête, le plus petit souffle de l’air un tourbillon affolant. La désolation le guette, le marasme, l’apeurement. Les muscles se raidissent, un peu fatigués déjà. Il sent l’étourdissement qui gagne les doigts, une rigidité lui grimpé le long des mollets…..Il serait si facile de s’en tenir là. S’accroupir sur la corde, rejoindre un bord ou bien l’autre – qu’importe – en rampant » (P. 117)
  • « La «boxe du bord de l’eau» est expliquée sur plusieurs pages dans le catalogue que j’ai maintenant sous les yeux : on y apprend qu’elle est née dans la province de Hubei au moment de la chute des Ming, lorsque six compagnons d’armes trouvèrent refuge dans la gorge d’une rivière…..Là, ils observèrent longuement les manœuvres des pêcheurs disposant leurs filets et les extraordinaires parades des poissons tentant d’y échapper, et s’en inspirèrent pour créer cette nouvelle discipline. De même que dans l’eau un poisson se meut facilement dans toutes les directions, de même l’expert dans la «Boxe du bord de l’eau» ne connait ni contrainte ni limitation indiqué la dernière page » (P. 145)
  • « Comme le corail, la vie des hommes est hérissée de crêtes et de bosses, déchiquetée de creux mystérieux, traversée de corps soyeux, de formes vives, de retours en arrière, et de translations délicates. Et, comme le corail, la parole des hommes est traversée de courants » (P. 163)
  • « Alors, ils s’accrochent régulièrement. Pour la première fois de sa vie, Maxime est maladroit. Tout homme à femme qu’il est, cette fois-ci c’est lui qui se laisse prendre à ce piège de soie tendue et de musique agile.
    Il veut tout, tout de suite. Elle ne cède rien.
    Elle se precautionne ? Elle s’encolère.
    Il tremblade, il chamade….Elle renaude et elle est fiéraude.
    Il l’a tutoie, méchant, insolent. Elle le transperce du regard et continue de le vouvoyer, en détachant bien les syllabes, pour lui faire honte.
    Leur dialogue crépite vibre comme le grillage d’une basse-cour, comme un filet de pêche tendu sur les eaux. Il la traite de pintade à piano, et elle de vieux mérou à morues. Il la surnomme la butorde et elle le crocheteur : ils en rajoutent dans l’adjectif, cherchent le rare et le précis, se régalent dans les dictionnaires. » (P. 178)
  • « Il est impossible au colonial de ne pas être ambigu : la grande fiction de l’humanisme et du progrès accompagne cette entreprise de tutelle qui se donne des airs de tutorat. C’est les droits de l’homme et les droits du plus fort réunis » (P. 205)
  • « C’est la valse des euphémismes : la conquête est une «pacification», les révoltes sont des «incidents», (des «troubles» quand il y a trop de morts), les grandes guerres d’indépendance arrivent péniblement au statut d’«événements». L’aménagement des territoires conquis devient «l’outillage économique» des colonies » (P. 206)
  • « Dès qu’un pays va mal, vous le verrez à sa façon de traiter les étrangers » (P. 263)
  • « Depuis trop longtemps il y a des arrivages massifs d’étrangers dans les grands ports de l’île, on parle d’invasion, il serait temps de faire respecter la pureté de la race. Parasites ! Vagabonds ! Le progrès ethnique arrive, vous n’avez qu’à bien vous tenir. » (P. 264)
  • « Dans un bulletin d’information daté du 15 février 1942, le gouvernement de Madagascar notifie les principes de la nouvelle pédagogie rythmique et sportive : beaucoup de sport pour les garçons, du ballet et des travaux de couture pour les filles. Il s’agit de «préparer la jeune fille à son rôle féminin en favorisant le développement et le fonctionnement normal de ses organes»…..En quelques lignes tout est dit : distribution des rôles et des règles, torpeur physique, corps enfoncé dans ses organes » (P. 265)
  • « On peut désormais être un scélérat et un bon citoyen. On est raciste pour ainsi dire spontanément, bienheureusement, quotidiennement, consciencieusement. Il y a un racismes ordinaire et même des racistes de bonne volonté. Jalousies inavouables, haines recuites, stylos crapuleux et légalistes des scribes salariés de la médiocrité ordinaire : tout le petit personnel de l’immense vacherie » (P. 267)
  • « Le projet nazi de déporter à Madagascar les juifs européens, peu connu, et parfois traité avec désinvolture par les historiens eux-mêmes se nomme le Projet Madagascar. Il est l’expression de cette configuration imaginaire, ou pour mieux dire chimérique, qui fait depuis longtemps de l’Afrique en général et de Madagascar dans le cas précis un lieu de relégation, une zone poubelle dans la cartographie du monde » (P. 268)
  • « Dès que vous êtes en prison, vous trouvez des gens pour vouloir vous y enfoncer un peu plus profondément. Les bateaux ne suffisent pas, il faut des trappes, des cages, des cachots, des geôles, de sombres puits de basse fosse d’où vous ne remonterez jamais. Vous avez disparu physiquement mais on va tout faire pour vous éliminer aussi complètement des mémoires. Les oubliettes » (P. 281)

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